De Cuba à Cabo Beata

24/03/2016 : Barahonas

Barahonas

Ker Yamm progresse tout doucement au moteur le long de la côte vers Barahonas en République Dominicaine. Il fait nuit. Le second dort tranquillement dans le carré, rassuré après le passage du cap Beata, sans encombre, en fin de journée. Trois petits nœuds suffisent amplement, car nous ne souhaitons pas mouiller dans la rade avant le jour. On ne sait rien de la précision des cartes, et les feux n'ont pas une grande réputation. Alors, prudence, prudence après notre histoire de Providencia.

Autant le dire tout de suite, il faut un petit côté masochiste pour entreprendre un tour pareil. Notre dernier tronçon de marins civilisés entre Les Caïmans et Cayo Matias à Cuba s'est très bien passé. Petite brise au portant, mer belle, et belle pêche à l'arrivée, mais qu'on a dû remettre à l'eau pour cause de ciguatera. Mais à partir de là, il a bien fallu mettre cap à l'est contre vent et courant.

Depuis le départ, dans les moments un peu plus compliqués, on s'est toujours dit, pour se rassurer, qu'on était en train de manger notre pain blanc. C'était pas faux. Mais tout de même, il ne faut pas non plus en faire toute une histoire. De Cuba jusqu'en Jamaïque, ça ne pose pas vraiment de problème. Les trajets sont courts, et il suffit d'attendre une bonne fenêtre météo, car les vents sont changeants, bien que globalement contraires. C'est à partir de là que les choses se compliquent.

Quand nous sommes revenus de Cuba sur la Martinique en 2013, pour des raisons techniques, nous avions fait un retour direct au louvoyage. Seize jours de mer au près serré. Pas un calvaire ! non non. Ça se fait, mais c'est tout. Et on s'était dit à l'époque que si on devait faire le même retour, on choisirait une autre solution.

Ce qui est en cours.

Nous avons quitté Port Antonio en Jamaïque par petit temps avec moult bidons de gazole sur le pont, avec l'intention de pousser au moteur le plus souvent possible. C'est la solution qu'on nous avait conseillée. Eh bien, pour tout dire, nous en sommes vite revenus au bonnes vieilles méthodes du louvoyage. Et les temps de passages les plus pessimistes ont vite explosé. L'arrêt à l'île à Vaches : supprimé. La nuit de repos à Bahia Aguilas : supprimé. Juste un petit arrêt de trois heures pour bidonner un peu de gazole, et fissa fissa sur le cap Beata pour ne pas manquer la fenêtre météo.

Ce qui, au demeurant, nous a réussi au-delà de toutes espérances. En effet, on nous avait décrit ce passage comme un véritable Cap Horn, encore un. Ce n'est pas faux, car on a rencontré depuis quelques bateaux qui se sont fait durement secouer. Pas nous. On a eu de la chance.

Après trois jours et trois nuits, Barahonas est en vue. Le jour se lève. Il faut changer d'heure. Et comme on va perdre une heure, on doit avancer sa montre d'autant. Çà demande une petite gymnastique cérébrale, mais ça fait partie de la lutte contre le vieillissement. En fait c'est tout simple, on passe de GMT-5 à GMT-4. Il faut donc avancer sa montre. Dit comme ça, c'est beaucoup plus clair n'est ce pas ?

Que dire de Cuba que nous n'avions pas dit la première fois ?

Que les procédures douanières se sont grandement améliorées. Le dock master nous a reconnus en arrivant à Cienfuegos. Il a été charmant, et toutes les formalités se sont faites à bord en une demi-heure. Malheureusement, la marina n'est plus accessible pour les bateaux de passage, car tous les pontons sont réservés aux charters qui payent les places à l'année. C'est un peu surréaliste, car en semaine la marina est vide, et pourtant on ne peut pas y accéder.

Que désormais on voit beaucoup de voiliers américains qui y font relâche.

Que les archipels des Cannareos et des Jardins de la Reine sont toujours aussi beaux, et que les pêcheurs y sont toujours aussi accueillants. Nous sommes repartis avec les cales pleines de poissons, crevettes et langoustes. Entre la boulange et la mise en conserves, Ker Yamm s'est transformé en navire usine à plusieurs reprises. Pour notre pus grand bonheur désormais, car nous en profitons chaque jour.

Qu'à Cayo Algodon Grande, il y a un champ de têtes de corail de toute beauté. Je pense qu'il y en a plus d'un demi-hectare dans trois mètres d'eau. Des patates énormes de deux à trois mètres de hauteur, de toutes les formes et de toutes les couleurs. Des gorgones, des coraux-branches, des coraux-fleurs, des coraux-feuilles, toutes sortes de gorgones et pour compléter ce magnifique tableau, les poissons qui vont avec. C'est bien simple, c'est le froid qui nous a fait quitter la place.

Mais que la vie paraît toujours aussi difficile pour les gens. On a eu vraiment beaucoup de peine pour un pêcheur qui était venu nous vendre des langoustes, et qui a priori pêchait pour son compte. Il est revenu le lendemain avec le bateau d'un de ses collègues, un petit pignon de son moteur à la main. Il cherchait une solution, car sans pièce de rechange, pas de pêche et sans pêche plus de travail. Et à Cuba, il n'y a pas de pièces détachées.

Quant à la Jamaïque, Port Antonio n'a pas vraiment changé. On a eu le sentiment d'être plus mal accueillis que la première fois. Et au marché, toujours cette impression de se faire arnaquer, car on doit payer trois à quatre fois le prix, car rien n'est affiché. Même si c'est le jeu, ce qu'on peut comprendre, c'est toujours très désagréable, et on en repart sans avoir envie d'y revenir.

Et puis quelques nouvelles de l'Ile à Vaches. Nous ne nous y sommes pas arrêtés, mais d'autres l'ont fait. Sœur Flora vieillit et n'a toujours pas de relève pour son orphelinat à presque 80 ans. Et malheureusement, son entourage en profite. C'est triste. A l'image du pays.

Dehors, le vent souffle fort. Ça devrait se calmer, et nous comptons reprendre la mer cette nuit. Ça ne fait pas trop envie, mais il faut bien rentrer. Plus que 400 milles jusqu'à St Martin, et on devrait pouvoir mettre le clignotant à droite pour redescendre sur La Martinique.



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