Le royaume des voiliers de luxe

11/03/2014 : English Harbour (Antigua)

Antigua

Ker Yamm fait désormais cap au sud, au moteur, par petite brise. Le temps est magnifique. Sans houle, la mer est toute plate, bleue comme le ciel sans nuage. La température est agréable. Pourtant le cœur n'y est plus trop. Il faut retourner en Martinique. Toujours les mêmes histoires de santé qu'on pensait vraiment derrière nous. Bref, c'est la tuile. Mais on s'en remettra, car tout bien considéré, il y a pire comme situation.

Un mois déjà depuis notre dernier courrier. Et il s'en est passé des choses. Tout d'abord, nous avons commencé notre voyage vers le nord en faisant cap au sud, direction Sainte Lucie. Un problème de dessalinisateur, qui nous oblige à faire route sur Rodney Bay, là où le fabricant Schencker, usine italienne de Naples comme son nom l'indique, nous a indiqué par téléphone avoir son représentant pour la caraïbe. En fait, une petite échoppe nommée Régis. Trois heures de navigation, ce n'est pas bien loin, mais tout de même à l'opposé de la direction souhaitée.
Pas de chance, à l'ouverture lundi matin, John, le technicien, est absent pour la journée. Le lendemain, fidèle au poste, il me demande de lui expliquer en anglais, la seule langue qu'il connaisse, les symptômes de la panne. Comme je m'y attendais un peu, et que j'avais bien préparé mon examen, je me lance dans une explication avec force gestes, sur la base de photos et de la notice de la machine. Cela avec un tas de mots inventés pour la circonstance, pour essayer de lui faire comprendre ce qui ce passe. Pendant tout le temps de l'explication, il m'a regardé fixement, très attentif et je l'ai senti extrêmement concentré. Et miracle, il a compris.
Tout ça pour pas grand chose, car rapidement, il m'a expliqué qu'il ne pouvait pas venir à bord avant un couple de jours comme on dit si bien dans la langue de Shakespeare, et uniquement pour jeter un œil. Pour une éventuelle réparation, ce serait pour plus tard, et si on devait commander des pièces, il faudrait rajouter un délai de deux à trois semaines. Déçus, il faut bien le dire, nous avons décidé de faire fi de cette avarie, de faire les pleins d'eau à la station et de faire route directe sur Antigua dès le lendemain matin.

La chance est avec nous, si on peut dire, car le vent a tourné un peu sud durant la nuit, ce qui nous est très favorable. Nous atteindrons English Harbour 25 heures plus tard, 190 nautiques plus au nord, après avoir laissé sur notre droite (bon, là il faudrait dire sur notre tribord pour faire sérieux !) dans l'ordre, La Martinique, La Dominique puis La Guadeloupe. Un peu fatigués à l'arrivée tout de même, car on s'est fait bien secouer sur la fin. Et puis le coq a été malade tout le long, mais on n'est pas morts de faim, car, comme d'habitude, tout avait été préparé à l'avance. Deux jours plus tard, après avoir raconté notre navigation lors d'un apéro avec des amis de trois autres bateaux qu'on connaît depuis maintenant deux ans, le verdict a été unanime : il faut désormais l'appeler sainte Cécile. J'en conviens aisément, même si, il faut bien l'avouer, ce ne sont pas des conditions bien difficiles.

Que dire d'Antigua, une escale rêvée pour beaucoup. Antigua, bien que coincée entre deux îles françaises, La Guadeloupe au sud, et St Barthélémy au nord, a toujours été anglaise. Nelson y a installé sa flotte, et personne n'a pu y mettre les pieds : ni les Français, ni les Hollandais qui sont tout à côté et qui même partagent une île avec nous : Saint Martin, ni les Espagnols qui sont un peu plus à l'ouest. Donc ici, pas de villages aux consonances étrangères. Tout est « so british ». Excepté Moustique, tout au sud des Caraïbes, Antigua est la première île résidentielle pour gens fortunés en remontant vers le nord. Il y aura ensuite St Barth la française, les îles Vierges Britanniques, les Îles Vierges Américaines, Porto Rico, et les Bahamas avant d'arriver en Floride. Que des îles à la fiscalité avantageuse. Des paradis dit-on.
En fait de paradis, ici c'est le royaume des plages de sable blanc. Il y a des criques partout autour de l'île à l'intérieur de lagons protégés de la houle par des récifs de corail. C'est très carte postale, et en tout cas urbanisé de telle manière qu'il est impossible de ne pas rêver. Nous avons mouillé, seuls, dans une petite anse au sud de Long Island, face aux villas qui donnent d'un côté sur la plage et de l'autre sur le parcours de golf. Au premier coup d’œil, c'est à tomber par terre. Pourtant, après trois jours, on a trouvé ça un petit peu triste, car l'endroit est désert. Il n'y a personne, à part les personnels de service qui tondent le golf, ratissent la plage, et entretiennent les maisons.
Nous avons fait le tour de l'île et mouillé dans différents endroits. Et partout le même scénario se répète : plages, villas luxueuses, golf, eau turquoise. Pourtant, en tout cas à l'époque où nous sommes passés, l'eau n'est pas limpide comme dans les îles plus au sud. On n'y voit pas à trois mètres. Les fonds, y compris les rochers et le corail, sont recouverts d'une sorte de sable blanc très fin, un peu comme de la farine, ce qui les rend uniformes et pas très beaux. Mais voilà, des goûts et des couleurs !!!

Et puis, Antigua c'est le royaume des voiliers de luxe. Pas des yachts à moteur, non, des voiliers. Partout dans les Caraïbes, on en voit, mais à l'unité. Ici au port de Falmouth Harbour, il sont par dizaines, plus beaux, voire plus ostentatoires les uns que les autres. C'est à qui aura le mât le plus haut, la bôme la plus longue, les inox les plus brillants. Attention, je ne parle pas de bateaux de 20 ou 30 mètres. Non non, ici il faut dépasser les 40 mètres pour se sentir à sa place, parmi les gens de son monde. Bien sûr c'est très beau, car ce sont des bateaux de rêve, mais à mon sens terriblement hors du monde.
Tout ce petit monde se prépare pour les régates d'Antigua de fin avril, régates mondialement connues dans le milieu, un peu comme celles de Cowes en Angleterre. Chaque bateau abrite une armée d'équipiers et « ières », qui astiquent les chromes, « polishent » les coques, lavent les ponts, essuient les hublots après chaque averse. Tout doit être impeccable pour l'arrivée du propriétaire. C'est peut-être là la vraie performance, avoir un voilier qui brille en tout temps.

Mais voilà, pour le moment, notre petit Ker Yamm vogue vers le sud. Une fois de plus sans programme pour les prochains mois. Le plus compliqué, ce n'est pas le programme, mais bien les conditions de sa mise en œuvre. On en saura un peu plus dans quelques semaines.



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